Le retour de l’extrême droite

Nous allons certainement aborder toutes les phases du deuil sur l’extrême droite.
Tout d’abord le choc : les Français lui ont offert un score historique1. Le RN a raflé 33% des voix.
Pourquoi est-ce une claque ? Plusieurs raisons :

  • La participation est constante avec une évolution de +1.37% (environ 300 000 votants supplémentaires). Si on peut accuser les abstentionnistes, leur inactivité n’est, a priori2, pas responsable de cette fulgurance RN;
  • Le nombre de liste est en augmentation. On ne peut pas accuser une pénurie de choix : il y avait en 2014 34 listes candidates, contre 38 en 2024 (variation d’environ +11%) ;
  • En 2019, le RN avait réalisé un score de 23%. La liste “Prenez le pouvoir” du RN était alors talonnée par la liste “Renaissance”, soutenue par La République en Marche qui était à 22%. En 2024, le RN a une avance de 15 points sur la liste “présidentielle”, deuxième sur le podium.
Parti (assimilé)20192024Evolution 3
RN2331+8
LREM2215-12

Le déni à ensuite suivi.
Comment la France, ce pays des Lumières et des droits de l’Homme ; pays de la Révolution et opposante de l’Allemagne nazi et de l’Italie fasciste peut basculer de l’autre côté de la barrière et soutenir un parti fondé par d’anciens ennemis ?4

Face à l’échec de sa candidate, le Président ne pouvait pas faire un remaniement car il avait déjà utilisé cette carte en janvier 2024. Il souffre pourtant de légitimité, et craint de se voir opposer une motion de censure en septembre. Dernière option avant la passivité : la dissolution.

Evoquons quelques instants une réaction observée par la classe politique. De tout bord, certains ont attaqué cette décision sur le principe que cela “offrait” la France au RN.
Comment un démocrate peut-il déclarer ceci ?
La France a fait le choix du vote comme moyen de transférer la souveraineté du peuple. Soit on estime que le peuple doit pouvoir s’exprimer et on ne peut qu’attendre avec appréhension son choix, soit on estime que le peuple est trop bête pour choisir et c’est notre démocratie qui doit être remise en question. J’avancerai ainsi que cet argument fragilise la stabilité de notre régime et favorise les pensées extrémistes. D’une manière générale, un vote du peuple ne devrait jamais être contesté en démocratie.

Avec ce choix du Président, nous entrons ainsi dans un (éventuel) déni : “les Français ne sont pas vraiment pour le FN. Ils voulaient râler, contester dans une élection de second plan. Maintenant ils rentreront dans l’arc républicain. Et les abstentionnistes seront motivés cette fois-ci”.

Une explosion en chaine

Nous pouvons supposer que le pari de Macron était celui-ci :

  • Les LR sont trop faibles pour être une menace ;
  • L’extrême droite (ED) subira un effet de barrage ;
  • La gauche sera divisée et n’arrivera pas à convaincre.

En clair, au 1er tour Macron pourrait siphonner les voix du peu de droite qu’il reste, et celle de la gauche qui ne croit pas en la gauche.
Au 2nd, faire barrage. Mais encore faut-il y être.

Ce qu’on a eu en une (1 !) semaine :

  • Les LR ont implosé, annonçant le ralliement au RN. Ciotti l’a fait le jour de la déclaration des comptes de campagne. Cette déclaration conditionne l’obtention des financements pour cette élection. Les candidats LR sont bloqués avec leur parti. A voir le dénouement à la fin des élections, s’ils restent.
  • L’extrême droite a été conquise par le RN. La nièce a été manipulée par la tante, et a quitté le parti de Zemmour avec les 4 élus sur les 5 des élections européennes (on devrait s’en rappeler pourtant, elles se sont déroulées il y a une semaine) et avec la caisse (selon le Canard Enchainé).
  • La gauche propose un front commun (en récupérant à leur compte la formule du Front Populaire de 1936) et se met d’accord sur un programme.

Les pronostics des élections ne sont pas bons Kevin. Je vous partage les intentions de vote à date du 20 juin 5:

  • 220-250 pour le RN
  • 135-165 pour le FP
  • 95-130 pour REN
  • 45-80 pour les LR, dont 15-30 pour l’alliance Ciotti (ça promet de belles discussions à la réu du groupe)

Ce n’est pas qu’un problème français

Nous en venons au cœur du problème en dézoomant de la situation française. Sur 720 eurodéputés, 180 d’entre eux seront d’extrême droite. Un score historique. Elle ne peut, a priori, pas s’expliquer par une ligne politique franco-française. Macron a des torts, mais ne peut pas être responsable de la montée de l’ED pour la totalité de l’Occident.

Depuis 2016, depuis l’élection de Trump nous pouvons entendre parler d’une arrivée du populisme de droite, portée chez nous par l’extrême droite. 8 ans plus tard, la France risque de passer le cap, et le reste de l’Europe également.

Cette chute de l’Occident vers l’extrême droite est symptomatique de sa décadence économique.
En effet, pour avoir cette vision je suspecte trois principales sources d’engrais pour le populisme :

  • Les contraintes physiques. Les Etats, et leurs flux physiques de marchandises subissent les impacts du réchauffements climatiques et des crises géopolitiques actuelles. Ces impacts se répercutent sur le pouvoir d’achat des ménages ;
  • Une globalisation culturelle. Les populations occidentales vivent une culture globalisée par internet, où les sujets très influencés par les Etats-Unis pour cause de leur monopole sur internet. Les conflits US sont projetés sur le reste du monde (sans évoquer toutes les dérives apportées par internet sur une population mal formé aux hygiènes de l’esprit critique) ;
  • La politique de l’Union européenne et des pays de l’Occident. Cela s’appliquerait à l’Europe notamment, mais également sur ses partenaires. C’est, après tout, ce qui rassemble les pays européens et qui pourrait justifier cette montée de l’ED en Europe.

Ces trois sources participeraient à la perte de vitesse économique et au ressenti pessimiste du monde Occidentale en déclin face aux pays “émergents”.

J’espère avoir l’occasion de pouvoir développer chacune de ces sources et voir ses impacts réels.
Quoi qu’il en soit nous, qui sommes attachés à notre démocratie, devons étudier les menaces qui se posent sur elle. Comprendre comment une population qui devrait être satisfaite d’avoir l’occasion de s’en plaindre, peut soutenir un parti qui appelle à une forme d’autoritarisme intérieur.

“Et c’est ainsi que s’éteint la liberté, sous une pluie d’applaudissement” disait Padmé.
Allez voter.


  1. Rappel que le RN est d’extrême droite, comme confirmé par le Conseil d’Etat en 2023 ↩︎

  2. Nous devons attendre les enquêtes d’opinion avant d’estimer si les abstentionnistes de 2024 sont les mêmes que 2019. Si une rotation existe, vous pourrez accuser votre pote qui n’a pas été voté. Une partie de la réponse est trouvable à cette article du Grand Continent ↩︎

  3. Sources : Résultats des élections européennes 2019 et Résultats des élections européennes 2024 ↩︎

  4. La fondation du FN devrait pourtant interpeler ↩︎

  5. Source: RTL ↩︎